BP 100 - 13673 AUBAGNE CEDEX

BALLON ROUGE

En préparant les jours meilleurs

JOURNAL D'UNE MISSION CIVILE EN PALESTINE
Par Marie-Christine et Jean-Paul MIGNON
Rédigé avec l'aide de Stéphane Horel

Jeudi 28 mars
Le groupe arrive à Tel Aviv à 16h00. Les formalités à l'aéroport sont très longues : tout le monde se voit confisquer son passeport, les services de sécurité de l'aéroport veulent emmener un copain d'origine algérienne à la fouille. Le groupe refuse : fouille générale pour tout le monde ! Quand on quitte l'aéroport, il est 19h. On monte dans un car affrété par l'AFPS jusqu'à Jérusalem où on rejoint le patriarcat grec catholique, qui est dans le vieux quartier chrétien de Jérusalem, près de la porte de Jaffa. Dès le premier soir, nous faisons une réunion sur le programme du lendemain. Claude Leostic, la référente du groupe, est déjà bloquée à Ramallah. Nous n'avons pas eu de contact physique avec elle.

Vendredi 29 mars
On se lève tôt pour rejoindre ceux qui sont à Ramallah. Par équipe de 6-7, nous prenons des taxis collectifs. On passe le checkpoint (barrage militaire) d'A Ram, puis on arrive à celui de Kalandiya, en rase-campagne. Première rencontre avec la réalité des checkpoints ! Le premier taxi passe par des chemins détournés avec six personnes à bord. Après une journée d'angoisse à essayer de les contacter, nous apprendrons qu'ils ont réussi à rejoindre Ramallah. Au Checkpoint, notre taxi tarde à redémarrer. Un soldat israélien tire en l'air, pour nous impressionner. Notre chauffeur de taxi dit que ce n'est pas possible de nous emmener à Ramallah. Il nous indique le chemin pour y parvenir à pied, mais nous prévient qu'ils tirent sur tout ce qui bouge. Il nous fait flipper. En plus, on n'a pas d'encadrement qui connaît le terrain, alors on retourne au checkpoint d'A Ram rejoindre les internationaux italiens qui se dirigent vers Ramallah avec quatre bus. Les bus sont rejoints par des jeeps de l'armée israélienne qui nous font faire demi-tour. Nous manifestons avec les Italiens pendant une bonne heure au checkpoint d'A Ram. On est environ 300. Les soldats ne sont pas trop excités. Ça ressemble plus à un face à face qu'à autre chose. Nous côtoyons les files de palestiniens qui attendent durant des heures à pied, en voiture. Quelques uns sont autorisés à passer, d'autres sont refoulés. Une femme palestinienne accompagnée d'un vieil homme nous explique qu'elle habite à Ramallah et qu'elle essaie de rentrer chez elle depuis deux mois ! Les soldats lui font faire demi tour.
On repart à Jérusalem pour manifester avec les Italiens à la Maison de l'Orient. À peine sommes-nous arrivés que, sans sommation, nous nous faisons charger violemment par la police montée. Les flics essaient d'attraper un militant, on se met à le tirer de notre côté. Un camarade italien prend un coup de matraque dans le nez, il pisse le sang. Jean-Paul reçoit un coup de matraque dans le foie. Il le sent encore, une semaine après. On recule, on se replie, des palestiniens aux fenêtres manifestent leur soutien. Un italien arrêté par la police sera jugé deux jours plus tard et expulsé.
Nous partons rejoindre la manifestation des femmes en noir. Ce sont des Israéliennes qui manifestent à un rond-point du quartier moderne en tenant des mains noires en carton avec des inscriptions en hébreu qui signifient " PAIX MAINTENANT - STOP A L'OCCUPATION ". Sur le trottoir d'en face, il y a 5 à 10 personnes d'extrême droite très agitées, qui nous insultent et brandissent des pancartes : " Remove arabic occupiers " (" Chassez les occupants arabes "). Entre eux et nous, il y a la police. Soudain, on entend des sirènes. On voit passer des ambulances, des voitures de police, nous saurons plus tard qu'il s'agit d'un attentat dans un supermarché. En redescendant vers l'hôtel, on apprend qu'il y a eu une provocation policière devant l'Esplanade des Mosquées à la sortie de la prière, il y a plusieurs blessés.
19h. Hôtel Ambassador. Nous assistons à une conférence de presse des ONG palestiniennes, à laquelle participent des dignitaires religieux. Un Suisse musulman d'origine tunisienne raconte ce qui s'est passé à l'Esplanade des Mosquées. La foule, quittant la mosquée, est sortie après la prière et a reçu - ce qu'il croit être - une bombe lacrymogène. Les gens, y compris des vieillards, ont essayé de fuir par les portes et ont reçu des coups de matraque. Lui s'est fait frappé. Avec son copain suisse, ils ont brandi leurs passeports et les flics ont arrêté de les taper. Il avait assisté à la prière et il dit que le discours de l'imam était pacifiste. Mais après la charge de la police, les plus jeunes ont ramassé tout ce qu'ils pouvaient par terre pour le jeter sur les flics.
Nous sentons que quelque chose de très alarmant est en train de se passer. Les Palestiniens sont très inquiets. Les informations en provenance de Ramallah et de la Moqata'a sont terribles. Pour eux, il y a une spirale qui se met en route. C'était le début de " l'Opération Rempart ", mais nous ne le savions pas. Les ONG présentes à la conférence appellent à une intervention internationale pour sauver le processus de paix. C'est très émouvant. Nous disons à tous les journalistes que nous avons au téléphone, que quelque chose de dramatique se prépare. L'assaut sur le QG de l'Autorité Palestinienne semble imminent et risque d'entraîner y compris Jérusalem au cœur de la tourmente. Nous envoyons deux membres de notre groupe pour nous représenter à une coordination des délégations d'internationaux puisque Claude Leostic n'est pas là. Nous retournons à notre hôtel où nous apprenons qu'il y a une descente de police dans l'hôtel où loge (à 100 m de nous) une autre délégation française. Les passeports ont été confisqués… puis rendus dans la soirée. Nous nous enfermons dans l'hôtel.

Samedi 30 mars - Journée de la Terre -
À 10H30, toutes les délégations internationales partent manifester pacifiquement au checkpoint de Kalandiya, nous sommes arrêtés à celui d'A Ram. Nous sommes près de 500, les Italiens ont emmené une fanfare. Nous sommes déterminés à passer. Malgré de longues négociations avec les militaires, on finit par rebrousser chemin. Une petite délégation est chargée de faire le tour des représentations diplomatiques européennes pour remettre une motion appelant à une protection internationale du peuple palestinien. Nous décidons de rejoindre les 300 Italiens partis au checkpoint de Bethléem. Nous arrivons au checkpoint de Bethléem.
Nous pouvons apercevoir la colonie d'Har Homa qui a poussé comme un champignon en 98, face à celle de Gilo, pour boucler la large ceinture de colonies autour de Jerusalem. Les Italiens font un sit-in. Nous sommes une trentaine de Français. Nous marchons jusqu'à la limite du barrage militaire. Les soldats nous disent de reculer, mais on passe les mains en l'air. Les Italiens se lèvent et nous suivent. On marche 3-4 km jusqu'à Bethléem, sur la place centrale, près de l'église de la Nativité. C'est une jolie ville. Il fait très beau. La fanfare des Italiens joue. Il y a une petite symbolique libératoire. L'accueil des Palestiniens est très chaleureux. Le maire, joint par téléphone, nous reçoit. On fait un meeting et on propose d'aller au camp de DHEISHEH et au village de BEIT JALA où l'armée est attendue. Comme nous sommes près de 400, on propose de se séparer en deux groupes. Les Italiens discutent, pour conclure, à 17H30, qu'ils préfèrent rentrer, sauf une petite délégation d'une vingtaine qui rejoindra DHEISHEH. Des bus palestiniens ont été mobilisés pour nous ramener jusqu'au checkpoint de Bethléem puis nous sommes rentrés sur Jérusalem.
De retour à Jérusalem, nous rejoignons une manifestation d'Israéliens pacifistes "Ta Ayouch" à la maison de Sharon. Les gens manifestent sur un trottoir étroit. Chacun porte un flambeau dans les mains. Quelqu'un prononce un discours en hébreu. C'est assez émouvant. C'est le moment où nous avons pu rencontrer le plus d'Israéliens, mais ceux-ci semblent très isolés. De nombreux organes de presse sont présents. Marie demande à un journaliste français pourquoi sont-ils si nombreux soudain? il lui répond que c'est à cause des menaces sur Arafat.
Après, on bouffe assis à une table, ce qui ne nous était pas arrivé depuis longtemps, dans un petit resto du vieux Jérusalem. Les infos d'El Djazira sont catastrophiques. Elles annoncent que la vie d''Arafat est en danger, et que ça cartonne à Ramallah. Au téléphone, ceux qui y sont nous disent que des hommes de la garde rapprochée d'Arafat ont été blessés et tués, et qu'il est possible qu'on attente à sa vie. Ils nous disent : " Bougez pas ! Restez dans les hôtels ! ". L'ambiance est lourde. Vers minuit nos délégués annoncent le programme : on va envoyer trois groupes de 40 personnes à Ramallah, Bethléem et Naplouse. Les autres iront aux manifs à Jerusalem. Les deux tiers de notre groupe (une vingtaine sur trente) décident d'aller à Ramallah où les copains se démènent depuis deux jours pour assister les secours sanitaires bloqués par l'armée. Il est une heure du mat' et on prépare nos " bagages " : un petit sac à dos avec un slip, une paire de chaussettes, une brosse à dent et un polo de rechange.

Dimanche 31 mars - Pâques -
Israël passe à l'heure d'été, pas les territoires palestiniens. Ça ne simplifie pas les choses. A 8 heures, on est à l'Ambassador. On prend deux taxis collectifs et on part pour Ramallah. Après le premier checkpoint, il faut passer par un petit chemin. On part à pied à travers la campagne en se planquant quand des jeeps israéliennes passent. Il y a 500 mètres à faire en courant. On arrive dans une zone où on trouve des camionnettes pour nous emmener dans les faubourgs de Ramallah, à 3-4 km de là. Les camionnettes doivent nous conduire à l'hôtel Ramallah, où se trouve José Bové. Quand on s'approche, on entend des tirs. Les chauffeurs passent des coups de fil, font demi-tour. C'est le couvre feu permanent, les rues sont désertes, un char passe. Après un stationnement d'une demi-heure, on repart, tout doucement, avec les warnings et des drapeaux blancs qu'on brandit aux fenêtres. À 11h, on atteint l'hôtel. Nous sommes fous de joie de retrouver nos amis, José, Claude. On avait déjà l'impression d'être là depuis quinze jours. En France, on met une semaine à organiser une manif. Là, on en faisait cinq en une journée.
Très vite, on nous briefe : des ambulances ont été confisquées par l'armée, une autre est bloquée à l'hôpital de Ramallah. L'armée israélienne empêche d'évacuer les blessés, Claude et José nous informent que nous allons essayer d'atteindre le QG d'Arafat (La Moqata'a) et qu'un groupe pourrait tenter d'y pénétrer et d'y passer la nuit. Nous nous engageons d'abord vers l'hôpital en cortège, munis de chiffons blancs comme unique signe de reconnaissance, serrés, tranquilles, sans courir, sans aucun geste brusque. José et Claude sont en tête. Les gens nous font des signes aux fenêtres, nous envoient des baisers. Nous avançons. Devant l'hôpital, des fantassins sont postés derrière des sacs de sable, un char nous fait face. Les militaires hurlent : " Go out ! Stop ! ". Claude leur crie : " Nous sommes une mission pacifiste. Nous voulons juste porter secours aux blessés !". Ils continuent de crier et nous tiennent en joue, avec le doigt sur la gâchette.
Deux chars sont postés : un canon face à l'ambulance, l'autre face à nous. C'est vraiment impressionnant. On se scinde en deux groupes pour protéger les deux ailes de l'hôpital : l'un part sous le porche de gauche, le nôtre sous celui de droite. La veille, l'armée a tiré sur la salle des urgences, ceux qui étaient sous le porche de gauche ont vu les impacts de balles. Les brancardiers déchargent les blessés, deux sont morts ! Devant l'hôpital, il y a trois équipes de télévision : CNN et deux européennes. Les gens de la télé, ce sont à moitié des martiens, avec leurs gilets pare-balles et leurs voitures blindées.
Finalement, les Israéliens partent. C'est un moment de joie, une " petite " victoire. Pendant 30 minutes, nous échangeons avec les médecins, les infirmières, les gens de l'hôpital. La situation doit être terrible pour ces gens-là, ils sont très courageux. On nous remercie, on nous apporte à manger : des pitas, du thé, des barres de chocolat. Les Italiens restent sur l'hôpital pour aider et maintenir une présence.
Le reste du groupe marche vers la Moqata'a en traversant le centre-ville de Ramallah. Des gens viennent nous saluer. Une femme palestinienne se joint à nous, puis une autre avec deux tout petits enfants : à peine 2 et 4 ans. Elle nous dit " Il n'y a pas de raison que vous preniez seuls des risques, c'est aussi la place des femmes palestiniennes. " Mais ce n'était pas possible d'embarquer des enfants avec nous. Seule la première femme reste, sans enfant. A 500 m de la Moqata'a, on ne croise plus personne, juste des voitures écrasées par les chars. Ce n'est pas Dresde, parce que les maisons sont encore debout, mais c'est une ville en guerre, les canalisations sont éventrées. On entend des tirs, on aperçoit une colonne de fumée, nous apprendrons plus tard qu'il s'agit de la maison de Barghouti.
14h On se retrouve à l'orée d'un grand terrain vague avec des chars. On comprend que la Moqata'a est au bout. On avance tout doucement. Nous passons devant un char qui tourne sa tourelle, suivant notre mouvement, le canon à quelques centimètres du visage de Jean-Paul. Au moment où on arrive près de l'entrée, des snipers tirent. Claude dit : " ne vous inquiétez pas, ils tirent en l'air " Bon, puisqu'elle le dit ! Comme les gardes palestiniens ne peuvent pas nous ouvrir grand la porte, nous entrons un par un. Nous sommes une cinquantaine. CNN nous suit. En entrant, nous sommes fous de joie. Jean-Paul embrasse José au passage. On ne pensait vraiment pas faire une chose pareille.
Nous avançons dans un couloir étroit. Les soldats sont stupéfaits de nous voir arriver. Ils pensaient qu'on venait apporter du ravitaillement. Nous donnons tout ce que nous avons, barres de chocolat, tabac, trousses de secours... Nous entrons dans une petite pièce sécurisée et on nous dit que le président va nous recevoir pour une conférence de presse. Les Palestiniens nous demandent de laisser nos sacs en bas - au cas où on leur ferait le coup de Massoud - mais nous sommes moins fouillés que dans une boîte de nuit en France. Nous montons à l'étage. En plus de ses remerciements, il y a une phrase d'Arafat que nous retenons particulièrement : " Nous ne réclamons pas grand chose. Nous réclamons juste un petit bout de la terre où nous sommes nés pour la paix de nos enfants et des enfants israéliens. " C'est la phrase la plus significative de notre séjour. Elle parle d'un peuple qui écarquille grand les yeux et se dit : merde, on tendait juste la main pour un petit morceau de notre dû. Conscients de leurs droits, ils en appellent à l'aide internationale. Ensuite, on défile un par un, et Arafat nous embrasse.
On redescend. Le mec de CNN dit : " Je m'en vais dans deux minutes ". On sait que José doit repartir, les copains du premier groupe aussi. Nous nous sommes considérés comme une sorte de relève, et dans l'enthousiasme du moment, nous acceptons de rester pour une nuit. José part avec 8 personnes et la femme palestinienne qui nous a accompagnés. Les portes se sont refermées sur nous dans la Moqata'a.
Les Palestiniens nous proposent de nous répartir dans deux pièces : une petite pièce en bas, presque confortable, et une autre, en haut, à partager avec des résistants en armes. Il fait très froid. Un temps dégueulasse, avec une pluie froide. Il y aurait 400 Palestiniens à l'intérieur, des soldats, une équipe médicale et des administratifs, notamment le directeur, francophone, de l'administration de l'Autorité.
Nous partageons la salle avec les Palestiniens en armes. Ce ne sont pas tous des militaires et certaines armes sont archaïques. Il y a des étudiants, des potiers, des paysans qui ont rejoint la résistance. Leur Anglais vaut le nôtre. Nous sympathisons particulièrement avec trois d'entre eux.
On s'organise, on partage la pitance des soldats, les matelas et les couvertures. Il n'y a pas d'eau courante, pas toujours d'électricité, peu d'eau potable, peu de médicaments... Malgré les efforts des Palestiniens pour entretenir les lieux, les conditions d'hygiène notamment dans les WC sont déplorables. Nous assumons. Les meilleurs jours, on mangera une pita avec de l'œuf dur ou du thon ou une vache qui rit, deux fois par jour. On a une couverture pour deux personnes et demie. On est trois par matelas, dont on se sert comme oreiller. Il y a aussi des beaux tapis qu'ils ont sortis pour que ce soit plus confortable. On partage vraiment le sort des gens. Ils nous réservent les endroits les plus sécurisés.
Le premier jour, vers minuit, Arafat nous invite à dîner avec lui. On mange dans des petites assiettes en plastique, debout autour d'une table, de la purée de pois chiches, du fromage battu, une pita. Par la suite, il viendra de temps en temps nous rendre visite ainsi qu'aux soldats.

La première nuit est mémorable! Les chars nous tournent autour, nous entendons des rafales au loin. Ils envoient ce que les Palestiniens nous ont expliqué être des " bombes sonores ", qui nous assourdissent pour créer une tension, nous faire peur. Jean-Paul ne ferme pas l'œil de la nuit. Les palestiniens qui, avant notre arrivée, étaient assaillis par des tirs incessants depuis plusieurs jours et plusieurs nuits passent, eux, une première vraie nuit de sommeil entre deux tours de garde.

Mercredi 3 avril
Nous allons voir Claude et posons le problème en groupe : on ne va pas rester ad vitam aeternam. Nous faisons en sorte que le libre-arbitre de chacun ne soit pas étouffé par la mécanique de groupe, que ceux qui veulent partir puissent l'exprimer. Mais le problème, c'est de trouver un moyen de sortir : les ambulances et les consuls sont refoulés. C'est un peu flippant. En même temps, on culpabilise. On sait qu'on est utile ici. On ne veut pas se désolidariser des objectifs du groupe. Certains sont dans la logique de la durée. Nous sommes une dizaine à vouloir partir. Nous ne voyons pas d'issue à cet enfermement.
Sofia, une Allemande qui est avec nous réussit à entrer en contact avec son consulat. Le mercredi soir, elle annonce que son consulat a négocié, et que des Israéliens vont venir nous chercher à Ramallah. On se prépare. On savait que José avait été arrêté, donc on se prépare aussi à l'être, les militants entraînés nous y aident. La voiture n'arrive pas. On attend jusqu'à ce que la nuit tombe. La voiture ne viendra pas ce soir. Jean-Paul tient un carnet de bord très exhaustif, dans lequel il consigne toutes ses impressions. Là, il a peur de mettre des personnes en danger si les Israéliens le saisissent. Il déchire les quarante pages, bourre ses poches, et répartit les bouts dans toutes les poubelles de la Moqata'a.

Lundi 1er avril
Ramallah a été déclaré zone militaire interdite à la presse. On fait une réunion et on décide qu'il faut tenir 24 ou 48 heures de plus, le temps que les médias s'emparent de notre petit coup d'éclat et en espérant secouer un peu les consciences. Nous deux, sommes déterminés à partir le mardi. La vie s'organise. Mario, le brésilien, anime un débat sur les sans-terre. Heureusement, sinon, on tournerait comme lion en cage dans cette semi-obscurité. Nous sommes deux. Quand l'un déprime, l'autre le secoue, et vice-versa. On passe des heures à parler philosophie et politique en petits groupes. Nous mettons plusieurs minutes à comprendre la question de Djemel, un des jeunes étudiants palestiniens : " Why did they kill sister Jane ? " En fait, il nous demande pourquoi Jeanne d'Arc a été tuée ! On parle de la guerre de Cent ans, des croisades. C'est indispensable pour tenir dans ce genre de situations. On passe un temps fou à essayer d'obtenir le réseau pour téléphoner sur nos portables, il semble que l'armée brouille les communications. Les coups de fil avec l'extérieur sont vitaux pour avoir et donner des informations, parler aux copains restés en France et garder ainsi toute notre capacité à analyser la situation, avoir aussi des nouvelles de ceux qu'on aime.
Dehors, on peut apercevoir par de toutes petites ouvertures les mouvements des chars et des snipers israéliens embusqués dans les étages face à la résidence. Des guetteurs palestiniens postés prés de toutes les ouvertures se relaient jour et nuit pour assurer la sécurité. Il faut être prudents et silencieux dans nos déplacements. Dés que le soir tombe, les palestiniens nous guident en nous tenant par la main dans l'obscurité.

Jeudi 4 avril
À 9h, rien. À 10h, rien. À 11h, rien. Notre sortie est acquise, mais on flippe. Impossible de téléphoner ce jour là - plus de réseaux. On n'arrive pas à joindre le consulat. Les rations alimentaires sont quasi épuisées. À 13h, Jean-Paul fait un petit malaise. Ce jour-là, on n'a eu qu'un demi-verre d'eau par personne. Il n'a presque pas dormi depuis que nous sommes arrivés. On l'emmène à l'infirmerie. Il a une douleur dans le bras et le cœur, il sent une chaleur au visage, comme si il tombait dans les pommes. En fait, un début de syncope vagale. Le médecin lui fait une piqûre de valium et lui donne un comprimé sous la langue. On nous propose de faire venir une ambulance pour nous évacuer tous les deux. Le seul autre moyen de sortir, c'est mains en l'air, avec un drapeau blanc. Pendant que Jean-Paul est à l'infirmerie, Marie décide de choisir cette dernière solution pour que nous puissions sortir avec tous ceux qui en avaient exprimé la demande. Il y a une bonne cohésion du groupe, ceux qui veulent rester sont déterminés et comptent sur ceux qui sortent pour donner de la voix à leur action.
Ceux qui sortent sont prêts a subir les conséquences d'une arrestation.
L'Autorité Palestinienne prend nos noms et nos numéros de passeports pour tenter de négocier les garanties de notre sortie.
17h. Deux ambulances du Croissant Rouge Palestinien arrivent, avec du ravitaillement (et des médicaments que les Israéliens ne laisseront pas entrer). On nous informe qu'elles peuvent emmener tous ceux qui voulaient partir. Au dernier moment, la fille de Sofia, Julia, décide de rester, pour que son pays, l'Allemagne, reste impliqué. Elle a 20 ans. On sort un par un, face aux soldats israéliens aux équipements ultra-modernes qui crient " Go ! Go ! Stop ! Stop ! ". En haut, toujours les snipers, les armes pointées sur nous. Dans l'ambulance, le médecin ausculte Jean-Paul, un fusil d'assaut dans une main, un stéthoscope dans l'autre. Un soldat francophone, le seul qui nous ait parlé comme à des humains, lui dit de se laisser faire pour qu'il ne lui arrive pas quelque chose. Il est allongé, sous oxygène dans l'ambulance. Avec nous, Éliane, qui a 68 ans. Les autres montent un par un dans la seconde ambulance. Nous sommes sans arrêt filmés et photographiés par des militaires qui nous insultent.
On arrive au camp de BEITEL. Le valium a fini son effet. Nous sommes fouillés, pas interrogés. On nous remet aux mains de la police du ministère de l'Intérieur. Ils nous emmènent à l'hôtel pour récupérer nos affaires. Les policiers tambourinent sur la porte pendant 20 minutes. Un curé nous ouvre, Les policiers bloquent la porte et empêchent Marc qui passait par là de nous approcher. Ils nous accompagnent dans les étages pour récupérer nos valises. On retrouve nos amis. Marielle, qui a un bébé de cinq mois, a juste le temps d'embrasser son mari, tout surpris et fou de joie, tout nu derrière une couverture. Nous insistons pour payer nos chambres. Un prêtre francophone s'inquiète de notre santé et nous remercie. Nous le rassurons avant d'être emmenés.
Nous sommes conduits dans des locaux du ministère de l'Intérieur pour des interrogatoires individuels auxquels aucun d'entre nous ne veut répondre. Nous refusons de donner nos empreintes et de nous faire prendre en photo : " On n'est pas des criminels. Notre action est pacifique, On était en Palestine, pas en Israël ! ". Nous résistons, les policiers nous plaquent la tête contre le mur et nous tordent les bras pour nous prendre en photo. Un d'entre nous sera menotté.

Mardi 2 avril
On parle de rester encore 48 heures. Toutes les tentatives des consuls français et européens pour nous rendre visite ont échoué. Même le Comité International de la Croix Rouge est refoulé.
Nous apprenons que l'armée israélienne a attaqué cette nuit un bâtiment administratif de la sûreté Palestinienne, à BITUNIYA, dans un faubourg de Ramallah. Un Centre culturel, et un Hôtel ont été atteints de même que l'hôpital Khaled dont une aile est en feu. L'armée ne laisse pas s'approcher les pompiers et les ambulances (Un ambulancier nous confirmera ces faits après notre sortie). Le Président du Croissant Rouge Palestinien a été arrêté.
Nous avons conscience que notre action a provoqué un remous médiatique, mais dehors, l'armée israélienne continue son offensive sur toute la Cisjordanie. Les déclarations de nos gouvernements restent molles face à la virulence de Sharon. Que fait l'ONU ?
Nous sommes quelques uns à souhaiter sortir, certains ont des contraintes, nous voulons aussi témoigner à l'extérieur pour que tout le monde connaisse la situation. Nous nous étions préparés à des opérations de bouclier humain pour protéger des manifs, des maisons, des cultures… mais pas forcément à vivre une opération militaire d'une telle ampleur.
Moment difficile et émouvant : Notre jeune ami Mohamed apprend par téléphone le décès de son père en France. Un Imam et des soldats l'entourent, lui parlent, le réconfortent et l'accompagnent dans la prière… Les contacts au téléphone avec les copains sont notre principale activité. On a le temps de dire deux mots, et ça coupe. Nous sommes en contact avec notre association basée à Aubagne, Ballon Rouge, et avec Résister de Marseille qui font des communiqués tous les jours, restent en liaison quotidienne avec le Consulat, le Quai d'Orsay… Ils nous conseillent d'être prudents et de ne pas sortir sans garantie consulaire. Ces contacts avec l'extérieur sont très utiles pour ne pas surestimer l'impact de ce qu'on fait. Ça nous permet de relativiser, de ne pas avoir le nez dans la guidon. Sans les portables, nous serions devenus fous, heureusement que les copains de Ballon Rouge ont payé la première sur-facture réclamée par l'opérateur (plus de 4000 f). Tout en étant des militants aguerris, nous ne sommes pas habitués à cette forme d'action.

Samedi 6 avril
Réveil à l'hôtel… vite le téléphone, la Moqata'a, la presse, les amis d'Aubagne et de Marseille. Un vrai petit dej de week-end, rendez-vous avec une journaliste Gare de Lyon puis direction Denfert Rochereau pour une manifestation monstre de solidarité avec le peuple palestinien. Ca fait chaud au cœur, tous les amis des missions sont là. On retrouve Alain et Arnaud de Marseille que nous pensions coincés à Gaza…
17h20 TGV direction Marseille, nous en profitons pour rédiger une *déclaration. A la gare Saint Charles, c'est Roissy bis, à la marseillaise, Juliette au premier rang, et tous ceux qui battent le pavé avec nous depuis de trop nombreuses années pour soutenir la cause palestinienne. Tous les amis de Ballon Rouge, de Résister et les autres, qui se sont défoncés comme des fous depuis notre départ, émus et fatigués. Le combat continue.

Depuis, 6 obus ont été lancés sur la Moqata'a, la barbarie militaire se poursuit dans toute la Palestine. On s'active ici autant qu'on peut, et c'est en refoulant des sanglots qu'on pense aux palestiniens, et aux copains qui sont restés.

 

*DECLARATION AU RETOUR DE PALESTINE…

Notre séjour en Palestine nous permet de témoigner de la réalité de la guerre que mène l'armée d'Israël contre le peuple palestinien. Nous avons vu les chars sillonner les villes, terroriser les populations civiles, entraver les ravitaillements, détruire les canalisations d'eau, bloquer et parfois attaquer les hôpitaux, empêcher les secours, confisquer les ambulances.
Nous avons vu une armée bafouant en toute impunité le droit international et ne respectant aucune des conventions élémentaires qui protègent les populations.
Nous avons vu une armée expulser les journalistes pour perpétrer ses exactions en toute confidentialité.
Toutes les associations humanitaires, toutes les organisations politiques et militantes doivent condamner la " solution " militaire du gouvernement Sharon.
Personne ne pourra nous faire croire après ce que nous avons vu qu'il s'agit de lutter contre le terrorisme. C'est la mise en œuvre d'une idéologie de haine et d'arrogance dont la finalité est d'offrir aux palestiniens la colonisation, la déportation ou la mort. Nous voulons témoigner pour que personne ne puisse dire un jour " JE NE SAVAIS PAS ! "

Nous avons rejoint les missions civiles de protection du peuple palestinien parce que nous sommes convaincus que la paix est possible mais que les instances internationales et nos gouvernements ont démissionné. Il est difficile de supporter les discours hypocrites renvoyant dos à dos agresseurs et agressés en refusant d'entendre l'appel au secours du peuple palestinien qui demande de toute urgence une force internationale de protection.

Nous devons exiger le retrait immédiat de l'armée d'occupation et le respect du droit international et des conventions qui protègent les populations en danger.

Les couvre-feux jours et nuits, les interdictions de circuler librement, les destructions massives des infrastructures anéantissent la vie économique palestinienne. Nous devons exiger l'arrêt immédiat des accords économiques et commerciaux avec Israël.

Nous pouvons témoigner du courage et du désir de paix des palestiniens que nous avons rencontrés. Il y a un espoir qui revient continuellement dans leurs propos et que résume bien la phrase du président Arafat :
" Nous ne demandons qu'un petit bout de la terre où nous sommes nés pour la paix de nos enfants et des enfants israéliens "

Nous voudrions terminer en remerciant tous les réseaux qui ont relayé notre mission et qui nous ont apporté un soutien inestimable : nos amis de l'association Ballon Rouge et de Résister, nos familles, la presse, les élus et tous ceux qui se sont mobilisés pour la paix et la justice.
Nous continuerons à soutenir tous nos amis qui sont restés auprès du peuple palestinien, à la Moqata'a et ailleurs. Nous pensons très fort à Claudine et Christian Chantegrel de Marseille qui ont décidé de poursuivre leur mission à la Moqata'a.
Et surtout nous ne pourrons pas oublier tous les Palestiniennes et Palestiniens dont la résistance est un immense message d'espoir.

Marie et Jean-Paul MIGNON
Le 6 avril 2002

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Vendredi 5 avril
Nous nous retrouvons dans une petite salle, dans un camp de la police entre Jérusalem et Tel Aviv, qui consiste en une dizaine de préfabriqués. On nous donne à manger du pain azyme, une sorte de flan, un morceau de fromage. On a une table et quelques chaises. On nous laisse sortir un par un pour pisser ou fumer une cigarette. Vers 7-8 heures du matin, il y a un changement de direction, et les policiers deviennent beaucoup plus souples, mais toujours pas le droit de téléphoner à nos familles et au Consul. On peut rester dehors. Un flic vient nous parler, cherche le contact. En Anglais, il demande : " comment pouvez-vous soutenir des terroristes ? ". Nous discutons sereinement avec lui, mais dès qu'un autre flic se pointe, il tourne le dos et clôt la conversation . Craignant une dernière fouille, nous détruisons la pellicule d'un appareil jetable contenant des photos de Ramallah et de l'intérieur de la Moqata'a.
Vers 13 h, nous sommes transférés à la police des frontières, à l'aéroport, dans un fourgon cellulaire en plein cagnard. On a soif , faim ,sommeil... nous sommes sales, pas lavés depuis cinq jours. Nous demandons à sortir et ils finissent par nous autoriser à nous mettre à l'ombre sur la pelouse et Jean-Paul va acheter des boissons dans une machine. La Consul de France à Tel Aviv est arrivée. Elle nous dit qu'une ambulance attendra Jean-Paul à Roissy. Il lui demande de la décommander. Nous lui donnons les numéros de téléphone de nos proches pour les rassurer, elle nous achète des sandwiches et de l'eau. Entre 15h30 et 16h, on retourne dans un fourgon cellulaire. Il n'y a presque pas d'aération. Il fait une chaleur à crever. Dans le fourgon, plein de graffitis, des signatures... Marielle ajoute les nôtres. Puis on nous fait monter dans l'avion, qui est celui de notre réservation pour le retour. Dedans, il y a tous nos copains. On est très heureux. C'est un forum permanent dans l'avion.
L'arrivée à Roissy est plus que chaleureuse, des dizaines d'amis sont présents pour nous accueillir, la presse, la famille, Christine, Nicolas le fils de Jean-Paul et tant d'autres…

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